Fêter Tết dans la campagne vietnamienne

Nous l’avions évoqué dans un précédent article sur le calendrier vietnamien, nous y voilà : le Vietnam est officiellement passé dans la nouvelle année, celle du Dragon de Bois Yang ! Ce changement d’année se déroule pendant la période du Tết (que l’on prononce un peu comme « tête » en français), qui s’accompagne donc d’un grand nombre de coutumes et de traditions en tout genre. Je vous propose aujourd’hui un retour d’expérience sur une semaine de festivités passée dans ma belle-famille vietnamienne, dans la campagne au nord d’Hanoi, à la découverte des spécificités de ce changement calendaire.

Qu’est-ce que c’est que le Tết ?

Le terme Tết est donc employé pour désigner le Tết Nguyên Ðán, qui représente la fête du premier jour de la nouvelle année dans le calendrier vietnamien. Étant donné les spécificités de ce calendrier, ce Nouvel An luni-solaire tombait cette année dans la nuit du samedi 10 au dimanche 11 février. Plus qu’une simple célébration du Nouvel An sur laquelle nous reviendrons, le Tết concerne également les jours qui précèdent et qui suivent cette date avec des cérémonies, des traditions, des prières ou des rassemblements. Difficile de faire la comparaison avec ce que nous connaissons en Europe, mais ce moment est plus proche d’un Noël que d’un Nouvel An en France. C’est avant tout l’occasion de se retrouver en famille, de partager des repas et de suivre des traditions ancestrales.

Musique « Tết Đến Rồi » qui passe en boucle depuis des semaines au Vietnam, pire que Mariah Carey à Noël !

La fête du Tết est sans aucun doute la plus importante du calendrier vietnamien. Pour vous donner une idée, cette année la période allant du 8 au 14 février était fériée au Vietnam, ce qui implique que le pays tourne au ralenti sur toute cette « semaine ». On déconseille souvent aux touristes de venir sur ces dates, puisque la majorité des commerces et des restaurants sont fermés. De plus, les grandes villes du pays se vident de leurs habitants, qui rejoignent leurs familles généralement situées dans les campagnes environnantes. C’est en quelque sorte une parenthèse à part dans l’année des Vietnamiens !

Arrivée et Préparatifs pour la fête du Tết

Nous avons donc rejoint la famille de ma compagne dans la soirée du 7 février, après deux petites heures de scooter dans la pénombre (faites attention à la circulation au Vietnam, surtout la nuit). Comme souvent pendant cette période de l’année, la météo est assez triste avec un peu de pluie et un ciel couvert, bien qu’il fasse quand même plus de 20°C. Forcément, les parents avaient déjà bien entamé les préparatifs depuis plusieurs jours, car il y a du boulot : entre la nourriture pour recevoir des centaines de convives sur les quelques jours, les cadeaux en tout genre et les cérémonies à préparer, pas le temps de s’ennuyer à la maison !

Nous sommes donc arrivés pile pendant la cuisson des Bánh chưng, qui sont des gâteaux de riz gluant contenant poitrine de porc et haricot mungo entourés de feuilles de dong, et qui cuisent une bonne dizaine d’heures dans de l’eau frémissante. C’est un plat traditionnel au Vietnam qui se déguste surtout pendant le Tết, à tel point que c’est l’un des symboles de cette période. C’était donc une arrivée au moment propice, afin de que l’on puisse se mettre autour du feu de bois après une longue et éprouvante route.

Photo des bánh chưng avant d’être mis en cuisson, enveloppés et ficelés dans des feuilles de dong

Après une courte nuit de repos, pas le temps de trainer au réveil : il faut saigner le cochon pour préparer les plats de la journée. Il n’est « que » 6h30 et même pas le temps de prendre un café puisque tout le monde est déjà en place, il faut s’occuper de la bête qui pèse une bonne centaine de kilos. Je laisse les spécialistes s’occuper de tuer et de découper l’animal puis d’en faire des préparations (boudins, saucisses, ribs et autre) et je ne vous propose pas de photos de cet évènement pour ne pas choquer les âmes sensibles. De mon côté, je me mets plutôt en cuisine pour la préparation des nems (c’est ma spécialité ici) dans des proportions que je n’avais jamais vues jusqu’ici, pour le repas du midi.

Une partie de la famille s’est ainsi réuni en ce jour, sur quatre à cinq générations : on retrouve les grands-parents (qui habitent à côté), les oncles et tantes, les frères et sœurs et les enfants de ces derniers. Comme à l’accoutumée, on mange à même le sol sur des tapis, dans la maison de mes beaux-parents. Les plus anciens se retrouvent dans la maison des grands-parents (pour pouvoir manger à table), et la maison se divise ensuite en trois groupes : d’un côté un tapis pour les enfants, au milieu celui des femmes et enfin celui des hommes, dans lequel je me trouve. Les hommes sont les seuls à avoir le droit à des bières et à de l’alcool (de riz ou de litchis). Une fois le repas passé, il est temps pour quelques jeunes femmes (et moi du coup) de se mettre à la vaisselle pendant que les hommes s’installent pour prendre le thé, et là encore il y avait de quoi faire !

Le culte des ancêtres durant la période du Tết

Avant de pouvoir se mettre à table, petit détour par le culte des ancêtres, une tradition au Vietnam que nous avions évoquée lors de la découverte du temple Tây Hồ à Hanoi. Dans la culture vietnamienne, le culte des ancêtres est omniprésent, à tel point que chaque famille dispose de son (voire ses) autel(s). Dans le cas de ma belle-famille, on retrouve un autel à l’intérieur de la pièce de vie principale et un autel extérieur. À l’occasion du Tết, ces autels sont ultra-garnis par les cadeaux que l’on fait à la famille lorsque l’on se rend chez eux. Souvent, on offre une boite de gâteaux, un panier gourmand ou un coffret type chocolat ou alcool, qui se retrouve sur l’autel plusieurs jours pour obtenir l’approbation des ancêtres. On retrouve également les différentes offrandes que la famille fait elle-même aux ancêtres comme des boissons (alcool, bière ou soda), des bonbons, des gâteaux, du café ou du thé, des fruits ou diverses choses comme du tabac. Par ailleurs, L’autel intérieur est orné de deux superbes tiges de canne à sucre pendant cette période de l’année.

Photo de l’autel intérieur et de la pièce à vivre dans la maison de mes beaux-parents, avec le service à thé au premier plan
Photo de l’autel extérieur vue de profil, avec les offrandes à brûler qui dépassent
Photo de l’autel extérieur vue de face, où l’on distingue le plateau-repas, des mets et la zone à encens

Comme vous pouvez le voir sur les photos ci-dessus, en plus des cadeaux et des offrandes dont nous parlions, on fait également offrande d’une partie du repas (sur le plateau gris ci-dessus). Tout ceci est assez codifié, par exemple avoir un nombre impair de nems dans l’assiette que l’on offre, mais je ne pourrais pas vous donner plus de détails, car ces codes échappent encore à ma compréhension. Par contre, j’ai retenu qu’il faut saluer trois fois les ancêtres en s’inclinant les mains jointes devant l’autel avant et/ou après avoir placé/récupéré des offrandes.

En plus des offrandes « gustatives », on va aussi brûler de l’encens sur les autels, ainsi que des papiers représentant des biens de la vie quotidienne pour faire des dons aux ancêtres, comme si le fait de brûler les documents permettait le passage des biens dans le monde des ancêtres. Par exemple, on va brûler des papiers représentant des billets pour leur faire parvenir de l’argent, ou bien des imprimés avec des téléphones portables, des vêtements, et même un cheval que l’on voit sur la photo précédente. En bref, on va leur offrir tout ce dont ils ont besoin pour vivre dans leur monde.

En plus du domicile familial, le culte des ancêtres se pratique à la pagode, en l’occurrence dans celle du village, qui se trouve en contrebas du petit chemin de terre que l’on emprunte lors de la balade digestive. Forcément, il y avait la foule des grands jours en ces premiers jours de l’année, l’occasion pour nous de recroiser certaines personnes que l’on a vues la veille. Il y a plusieurs points de recueillement au sein de la pagode, entre les autels extérieurs et les deux bâtiments de prière similaires à ce que l’on a pu voir dans le temple Tây Hồ et la pagode de Trấn Quốc. Le premier est dédié aux Bouddhas tandis que l’autre s’adresse aux divinités. C’est ainsi que l’on dépose sur les différents autels un panier garni ou un plateau contenant les offrandes (souvent composées de nourriture, de fruits, de sucreries et de boisson) avant d’allumer un encens, comme à la maison, toujours en effectuant les trois salutations.

Photo d’une personne en train de se recueillir devant l’un des autels extérieurs, dans la pagode du village

À l’intérieur des deux bâtiments, lorsque l’on dépose une offrande, on donne également à un gestionnaire de la pagode un petit papier qui contient la demande que l’on souhaite faire à la divinité, qu’il devra ensuite lire à haute voix. Déjà que ma simple présence ne passe pas inaperçue (un tây au milieu des vietnamiens, forcément) et que je suis fréquemment la cible de photos en cachette, alors lorsque l’orateur des messages a dû lire mon prénom à haute voix, c’était difficile pour lui .. Au moins, tout le monde savait de qui il s’agissait. D’ailleurs, au Vietnam, les gens m’appelle généralement « Tipo » (proche de Thibaut, me direz-vous) qui correspond au nom d’une marque locale de gâteaux. Tout ça pour dire qu’après la lecture du message, pour avoir l’approbation de la divinité sur notre souhait, une deuxième personne de la pagode lance une pièce « pile ou face » deux fois. Si on a une fois pile et une fois face, le vœu est accepté et l’on peut passer à la suite. Sinon, si l’on a deux fois le même résultat, alors le lecteur va s’excuser auprès de la divinité et refaire un discours sous une forme un peu différente, puis on relancera les pièces. Il faut parfois plusieurs tentatives pour que les divinités acceptent de nous venir en aide !

Visiter les proches pendant la période du Tết et la tradition du Lì Xì

En plus des repas en famille, j’ai pu assister à un drôle de manège les premiers jours de la nouvelle année. Comme le veut la tradition locale, on va rendre visite à la famille et aux amis pour échanger nos meilleurs vœux pour l’année à venir. Ces visites se font par petit paquet de familles, de quelques dizaines de personnes à chaque fois. Ainsi, on reçoit tout le monde avant de se rendre ensuite dans la maison d’une autre personne du groupe, et ainsi de suite jusqu’à avoir fait le tour des maisons. Les visites sont relativement courtes et ne dépassent rarement les 15 minutes. Les hommes s’assoient à une table proche de l’autel des ancêtres pour partager un thé (ou exceptionnellement un verre d’alcool), les femmes se mettent quant à elles par terre ou sur un lit. Généralement, il y a des sucreries à grignoter, des fruits et des graines (type graine de tournesol ou cacahuète). Les enfants quant à eux jouent, crient, courent et mangent un peu partout dans la maison et dans la cour.

C’est pendant ces visites qu’a lieu le rite du « Lì Xì », que l’on pourrait traduire par « argent porte-bonheur ». Cette pratique consiste à remettre aux enfants une enveloppe rouge qui contient un (ou plusieurs) billet(s) afin de leur apporter chance, bien-être et prospérité pour cette nouvelle année. Les sommes peuvent aller d’un billet de 20.000 VND (Vietnam Dong, la monnaie locale) à plusieurs millions de VND, soit de moins de 1€ jusqu’à plusieurs centaines d’euros selon la personne à qui l’on offre l’enveloppe. Peut-être même que cette somme est encore plus importante dans des familles aisées. On peut également offrir une enveloppe à des adultes très proches comme ses parents, ses grands-parents, ou ses frères et sœurs. À travers ce geste symbolique, le don va également profiter aux parents des enfants qui reçoivent l’enveloppe, puisque ce sont eux qui vont l’exploiter par la suite (d’où le don plus important pour des personnes plus proches). En tout, ce sont ainsi plusieurs centaines d’euros que l’on offre pendant cette courte période, au fur et à mesure des visites.

Photo d’une enveloppe rouge contenant de l’argent que l’on offre pendant le rite du Lì Xì

Le passage à la nouvelle année au Vietnam

Revenons un instant en arrière pour parler du passage à la nouvelle année dans le calendrier vietnamien. Comme en France, l’évènement se produit à minuit et est entouré par des festivités et des feux d’artifices dans les grandes villes du pays. J’ai pu le voir en direct à la télévision vietnamienne, certains évènements étaient quand même assez impressionnants, notamment un magnifique spectacle de drones à Hanoi !

Impressionnant spectacle de drone en plus des feux d’artifices pour célébrer le Nouvel An dans la capitale du Vietnam, Hanoi

Dans la campagne vietnamienne, c’est un peu différent puisque les petites villes et les villages n’organisent pas de tels évènements. Malgré l’interdiction sur la vente et l’achat de pétards et de feux d’artifices, c’était quand même la fête dans les maisons voisines !

Vidéo des feux d’artifices sauvages dans les maisons voisines à celle de mes beaux-parents vietnamiens

En plus de ces célébrations et selon la tradition locale, la première personne à venir vous rentre visite dans votre domicile va avoir un impact sur votre chance et votre prospérité pour l’année à venir, selon son signe astrologique vietnamien. Je ne connais pas tous les détails sur le calcul du signe en question, mais j’ai cru comprendre qu’il se base entre autres sur le signe astrologique du « père » de la famille. Dans le cas de ma belle-famille vietnamienne, le premier visiteur cette année devait être du signe du cochon et ça tombe bien, puisque c’est mon signe astrologique vietnamien (je vous renvoie à l’article sur le calendrier vietnamien pour connaitre votre signe astrologique).

Ainsi, nous avons dû régler nos réveils à 23h45 pour être un minimum réveillé et je suis sorti de la maison, pour re-rentrer par le portail une fois la nouvelle année entamée, d’où la vidéo précédente avec les feux d’artifices qui ne m’avaient pas réveillé jusque-là malgré le vacarme. Comme le veut la tradition des visites dont nous parlions précédemment, j’ai eu le droit à quelques sucreries, et un thé avec mon beau-père vietnamien avant de regagner mon lit pour le reste de la nuit, afin de reprendre des forces pour la suite des évènements.

Finalement, je peux m’estimer chanceux de pouvoir vivre de tels moments auxquels un simple visiteur ne peut pas avoir accès sans avoir de la famille ou des amis sur place. Comme un Noël chez nous, c’est l’occasion pour la famille de se réunir et de partager des bons moments ensemble. Et comme pour Noël, j’ai encore abusé de la nourriture. C’est donc le bon moment pour remettre le sport dans les bonnes résolutions de la nouvelle année du Dragon, et de me sortir la musique « Tết Đến Rồi » de la tête !


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